A Grenoble, des migrants ont imaginé des cartes fidèles à l'histoire de leur voyage jusqu'en France. Des représentations émotives et artistiques plus que factuelles.
Ils ont parcouru des centaines de kilomètres, ont souvent risqué leur vie. Les migrants de Grenoble et d’ailleurs ont des souvenirs qui se racontent mais aussi se dessinent.« Le projet est parti d’une frustration, conte Sarah Mekdjian, géographe à l’université de Grenoble. J’en avais assez de toujours voir des cartes où les migrants sont réduits à des flèches. » Avec une de ses collègues, géographe elle aussi, et trois artistes, elle a animé deux mois durant des ateliers créatifs de cartographie. Au bout des pinceaux et des crayons, les mains de douze demandeurs d’asile attelés sur trois dispositifs. Dans le premier, les migrants devaient réaliser une cartographie mentale, sans fond de carte pour appui. « Ils devaient représenter le monde, ou la partie du monde qu’ils avaient traversé ». Seule exigence, souligne Sarah Mekdjian : une même légende pour tous, langage commun pour les neuf nationalités en présence. Une légende qui, au bout du compte, n’a pas servi à compter les routes, les déserts ou les viaducs mais à noter le surgissement de « la peur, des pleurs, du deuil… » croisés sur la route. « Par exemple, pour tout le monde, le triangle noir signifie la mort », souligne la chercheuse.
Ailleurs, le travail s’est organisé autour de grands tissus blancs, là aussi destinés à accueillir une carte mentale. Des tissus ? « Parce que les migrants disent souvent que la seule chose qu’ils gardent avec eux pendant le voyage ce sont leurs habits. Souvent, ils partent sans bagages ou s’ils en ont, ils les perdent ou doivent les vendre. Ces habits sont leur deuxième peau, c’est le rôle du tissu de représenter ça », poursuit Sarah Mekdjian. Dernier dispositif : une carte sonore qui reprend les souvenirs du voyage. « Quand on passe de l’Erythrée au Soudan, dans le désert, il y a le bruit du vent m’ont raconté certains », rapporte la chercheuse.
Démarche émotionnelle
Le projet de l’université de Grenoble et de son laboratoire CNRS PACTE s’inscrit dans un cadre plus large. Celui d’un programme international de recherches financé par l’UE ( à hauteur de 6,9 millions d’euros) – EUBorderscapes et visant à « traquer et à interpréter les changements conceptuels dans l’étude des frontières » : sécurisation des frontières, identités des habitants des zones frontalières mais aussi représentation de ces lignes de démarcation nationales. A Grenoble, on a donc choisi de faire une étude au carrefour de la science et de l’art.
L’objectif de ces ateliers ? « Ouvrir un espace d’échange avec les migrants. Pas simplement sur le mode de l’interview – l’idée est de faire différemment du questionnement administratif auquel les migrants sont perpétuellement soumis quand ils demandent l’asile. De raconter les choses par d’autres moyens, plus créatifs. De ne pas raconter que le factuel – vous êtes passés où, à quel moment, à quelle heure - mais de faire une démarche émotionnelle ». Le travail viendra alimenter une exposition à Grenoble, puis sans doute une autre à Marseille cet été. Il servira aussi étayer les publications des chercheuses présentes.
Article paru dans TerraEco.net le 21 juin 2013.
Article paru dans TerraEco.net le 21 juin 2013.